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Un Hamlet désossé
 
Robert Lévesque
 

Que dire de cet Hamlet désossé? Servi avec une sauce étirée? J’avoue mon ennui devant un tel plat théâtral qui sent le réchauffé des années 60.

Hillar Liitoja propose rien de moins, aux festivaliers du Festival de théâtre des Amériques (FTA), qu’un « objet maniaque », un Hamlet libéré de ses os, faussement éclaté, où l’anarchie apparente est réglée au quart de tour dans une entreprise nombriliste dont le but est de s’acquérir un public que l’on fait semblant de désorienter.

Patrice Chéreau, qui vient de signer un Hamlet, disait qu’ « il y a un Hamlet pour chaque époque, et chaque Hamlet nous en dit finalement plus long sur cette époque que sur lui-même ».

L’époque selon Liitoja semble bien vénale. Je ne vois dans cette entreprise de décerveler, répéter, étirer cette pièce, que pur caprice. D’une pièce déjà si complexe et si riche que toutes les générations s’y cognent le nez, Hillar Liitoja propose sans vergogne un spectacle inutilement ampoulé, boulimique (ça dure huit heures), accroché à de vieilles manies qui voulaient, il y a 20 ans, que l’on assassine le principe bourgeois de la représentation.

Le problème avec cette fausse audance de Liitoja — ce n’est pas parce qu’un Hamlet dure huit heures qu’on est inspiré! C’est même le contraire — c’est que, dans ce charriage, on ne sent nullement qu’il y a, en souterrain, en sensibilité, une théâtralité qui s’exerce.

Va pour la représentation remise en question, ou chamboulée, mais au théâtre, s’il n’y a pas une justification, une nécessité, une urgence et une habileté qui est la théâtralité, l’aveu franc de son projet, on ne pourra jamais prétendre faire du sens. Le Hamlet de Liitoja, au-delà de son audace superficielle, n’a pas de sens.

Toute l’entreprise n’est faite que de tics racoleurs à l’inverse. D’abord, on vous fait poireauter une demi-heure sur le trottoir, parce qu’on n’admet que quatre spectateurs à la fois. Dans une anti-chambre, on vous dévisage durement, on vous pousse dans la salle en faisant claquer la porte. Une fois entré, vous êtes libres d’aller où vous vouler, dans la pénombre. Des acteurs, ici et là, répètent des gestes, des répliques, rien ne se passe. Il faudra une bonne heure et quart avant qu’un début d’action démarre sans vraiment démarrer.

Je vous avoue ne pas avoir eu le goût de continuer à suivre ce cirque plus de quatre heures (comprenant une sortie pour bouffer). On fait vite le tour d’une telle approche, et si certains, qui adhèrent à la proposition en pensant vivre le théâtre comme s’ils le découvraient de l’intérieur, ont suivi le manège jusqu’à 2h 30 du matin, grand bien leur fasse!

L’absence de théâtralité dans cette fausse anarchie aurait pu me dégouter à jamais du théâtre. J’ai préféré, quittant les lieux sur le coup de 22h, me laisser éblouir pas les feux d’artifice de la Corée qui éclataient au-dessus de Montréal. Je changeais de festival avec un sentiment de libération, de joie ...
 
Je laissais Hamlet (pourtant le personnage le plus fascinant de l’histoire du théâtre) à ses simagrées, je laissais Hillar Liitoja à son petit jeu d’iconoclaste bourgeois.

La comédienne Patricia Nolin, sentant mon désarroi, m’avait conseillé, vers 20h 30, de circuler dans le lieu, dans l’installation: « tu trouves le sentiment de ta propre liberté », me glissait-elle à l’oreille. En marchant, j’ai tellement trouvé le sentiment de ma liberté, que j’ai eu le courage de me dire que tout ça m’ennuyait, que tout ça était joué par des acteurs robotisés par une mise en scène dictatoriale et stupide, et que je suis sorti! Les bruits d’explosion des fusées pyrotechniques étaient douces à mes oreilles ...

Le Devoir
June 1, 1989